Mon père pensait avoir franchi le cap. L’aînée avait fait honneur à la famille, elle était mariée et maman de deux, la suivante, pareille. Les deux autres garçons faisaient leurs études universitaires à l’étranger. Il ne restait que la cadette, Snella.
Snella, après avoir décroché un certificat d’études secondaires avec brio du haut de ses 18 ans, Papa était aux anges. L’une de ses prières était exaucée. Ses enfants avaient réussi la vie malgré l’environnement pas très propice dans lequel il les avait élevés. Originaire d’une contrée dans la fin fond du Burundi, avoir une parcelle puis une maison dans un quartier populaire de la capitale était un grand pas. Sauf qu’il avait toujours peur pour l’éducation de ses enfants. Un quartier populaire impliquait que ses enfants allaient être des “toto cités “ et rien que d’y penser, ça lui donnait des cauchemars.
Un samedi, tout bascula, ce cauchemar le rattrapa. Il est 10h, la cadette toque à la porte de sa chambre. D’habitude, personne ne le tire de sa grâce matinée le weekend. C’est son moment précieux. On le sait. Mais Snella avait une nouvelle à annoncer, pas une très bonne. Papa et Snella se retrouvent au petit balcon. Papa a l’air reposé, léger sourire ; il taquine sa cadette qui à son tour est presque insensible. L’annonce ne tarde pas, Snella est enceinte.
Pas la cadette !
Mon père était abasourdi par la nouvelle. Il n’avait jamais pensé qu’un tel déshonneur pouvait s’abattre sur sa famille, pas après tous ses efforts dans l’éducation des enfants. Il avait sacrifié ses soirées avec les amis, amorcé des dialogues avec ses enfants et sa femme. Il voulait protéger à tout prix sa petite famille au milieu de cette “cité”.
Il ne comprenait pas comment avec des aînés si bien éduqués et qui ont su préserver l’honneur de la famille, la cadette pouvait s’en déroger autant. Pourquoi n’a-t-elle pas pris l’exemple de ses sœurs ?
Pour lui, sa fille aînée avait déjà réussi à honorer sa famille. Mariée et mère de deux jolis bébés, elle avait servi de bel exemple. C’est fou comment les ainés peuvent porter d’énormes attentes. Si une fratrie est solidaire, on dira merci à l’aîné, si elle part en vrille, c’est toujours de la faute de l’aîné, pour n’avoir pas su donner un bel exemple à ses petits frères et sœurs. C’est sa responsabilité de les éduquer et de s’assurer qu’ils ne manquent de rien, qu’ils ne dévient pas du droit chemin. C’est d’ailleurs pour cela que Papa Snella avait peur de la voir fléchir, car pour lui, cela aurait emporté toute la fratrie. Mais si les aînés ont brillé, pourquoi le déshonneur est porté par la cadette ? Il n’en revenait pas !