Être ivre quand on est une femme est perçu comme un crime, une abomination ! Mais est-ce une raison pour abuser d’elle ?
J’ai toujours aimé voyager. Bien que ce soit difficile ces derniers jours, je me suis quand même permise une petite virée au nord du pays, plus précisément à Kirundo, pour découvrir des coins, des cultures, des paysages. Cette province me charme par ses beaux lacs, le succulent poulet de chez Jackson Ku kiraya, et pour couronner le tout, un bon lit pour dormir.
Ce jour-là, j’atterris dans un joli hôtel plutôt calme, j’en conviens. Pourtant, le calme ne dura pas. À 22h, des bruits attirent mon attention. Mon premier réflexe est de regarder par la fenêtre, et ce que je vois me glaça le sang. Une femme du même âge que ma mère est couchée par terre, et un homme est en train de la frapper. Une autre femme est assise par terre et trois hommes sont là à assister au spectacle.
Curieuse, j’enfile un pull et descends directement dans la ruelle. À peine arrivée, je demande aux trois hommes qui assistaient comme s’il s’agissait d’un match de boxe. Le premier me dit en souriant : « Umugore aboregwa nk’uko nibashake bamuhashe » (une femme ivre comme ça mérite qu’on la punisse). Une nuée de rage m’envahit. Déjà, l’homme qui est en train de la battre est lui aussi ivre, il n’arrive pas à tenir debout. Du coup, je leur demande pourquoi il est en train de la battre alors qu’il est lui-même ivre.
J’eus comme réponse : « L’homme ivre, c’est le beau-frère de la femme ivre. Ils viennent de vendre leur bout de terre, l’homme est venu leur offrir des bières et voilà, la femme ivre ne veut pas rentrer»
Ngo hama abagore barahohoterwa.
Un homme qui m’a vu sortir de l’hôtel comme une flèche m’a suivie et vient demander le récit. À peine entend-il que la femme est ivre, il dit : » Yaborewe ? ahubwo ni bazane inkoni imeze neza« . (Elle est ivre ? Si c’est le cas, amène un vrai bâton).
Moi, petite, impuissante, j’essaie de défendre cette femme qui pourrait être ma mère, une mère, seule contre quatre hommes robustes. Je dis alors d’une voix naïve : » Ne la battez pas, même l’homme est ivre et personne ne le blâme ou ne le bat ! Aidons-les plutôt à rentrer ».
J’appelle un motard qui passe encore à 22h, mais malheureusement, la femme, trop ivre ne pouvait pas tenir sur la moto. Il fallait une voiture, mais comment trouver un taxi dans ce coin perdu !
L’homme de l’hôtel, celui qui m’a suivie, dit alors la phrase qui me fait écrire tout ça : « Et dire que les femmes subissent des violences ! Elles ne subissent pas les violences, c’est elles-mêmes qui en sont les fautives ! Cette femme qui ne parvient même pas à tenir sur une moto dira-t-elle qu’elle a été abusée si elle se fait violer ? Regarde dans quel état elle est !»
La colère monte en moi, j’ai envie de pleurer, mais je ne peux pas faiblir, je ne peux pas lui donner la satisfaction d’arborer ce sourire machiavélique. Je lui lance : « Juste parce qu’elle est ivre, tu penses que les gens ont le droit de la violer ? Ce que tu fais déjà, c’est de la violence. »
Un jeune homme « city » qui nous a observés vint demander où elle habite et la porte dans ses bras. Ce dernier me lance un « on vient de me dire où elle habite, je vais la porter jusqu’à chez elle ! Ne t’inquiète pas, va te reposer, je vais m’assurer qu’elle arrive saine et sauve. »
En montant les marches vers ma chambre, je priai tout en espérant que cet homme tienne parole, que la dame arrive saine et sauve.
Sinon, à l’autre homme (je ne sais même plus où il est passé) ou à ceux qui pensent comme lui, même ivre, elle reste humaine. Ce n’est pas que je cautionne l’ivresse, et d’ailleurs que ce soit pour un homme ou une femme, il faut boire de manière responsable ! Mais au-delà, personne n’a le droit d’abuser d’une autre à cause de son état ! Non !